e veux parler avec le nègre", lance le président vénézuélien, Hugo Chavez, quelques jours avant l'élection de Barack Obama. Au nom
"des indigènes, des Noirs et de la race sud-américaine", le porte-drapeau de l'anti-impérialisme régional ajoute :
"Je ne lui demande pas d'être révolutionnaire ni socialiste, mais d'être seulement à la hauteur de l'époque que le monde est en train de vivre." Au lendemain du scrutin, Chavez s'adresse à Obama,
"depuis la patrie de Simon Bolivar". Il félicite
"l'homme noir" pour sa
"victoire historique". Il y voit le symptôme d'un changement qui,
"parti d'Amérique du Sud, frappe maintenant aux portes des Etats-Unis". Il demande à Obama de prendre un
"virage humaniste" fondé sur
"le respect de la souveraineté des autres".
Hugo Chavez aime poser en leader planétaire. Il ne lui suffit pas d'envisager la mise au point avec Barack Obama d'un
"ordre du jour bilatéral constructif" qui marquerait une nouvelle ère dans les rapports entre Caracas et Washington. Il voit plus grand. Il veut travailler avec le futur président à combattre les maux dont souffre l'espèce humaine - la misère, la faim, le sida - alors que les Américains, dit-il, dépensent tant d'argent
"dans les bombes atomiques, les avions invisibles et les complots contre les peuples et les gouvernements".
Un tête-à-tête Obama-Chavez ? Une première occasion de faire connaissance leur sera offerte lors du Sommet des Amériques, en avril 2009, à Trinité-et-Tobago. Lors de sa campagne, Obama s'est dit prêt à parler à Chavez et au leader cubain Raul Castro dans le cadre d'une diplomatie "plus active" envers le sud du continent. Son principal conseiller "latino", Daniel Restrepo, a précisé qu'Obama "choisirait le moment et le lieu" d'une éventuelle rencontre avec Chavez.
Le président élu n'a jamais mis les pieds en Amérique latine, ni à titre privé ni comme sénateur, malgré plusieurs invitations. Les attentats du 11-Septembre et la guerre en Irak avaient relégué la région au second rang des préoccupations de Washington, sauf sur des sujets comme l'immigration et la drogue. Sans doute y restera-t-elle, avec Obama à la Maison Blanche - Afghanistan, Irak, conflit israélo-palestinien et crise économique obligent. Même la lutte contre le narcotrafic fut pratiquement absente, à la différence d'hier, de la campagne électorale. Les Sud-Américains attendent assez peu d'Obama. Il ne pourra donc les surprendre qu'en bien.
Entre Caracas et Washington, le rapprochement, s'il survient, prendra du temps. Au début du règne de Chavez, ses relations avec les administrations Clinton, puis Bush, sont assez cordiales. Elles basculent après le coup d'Etat manqué d'avril 2002 contre son régime, qu'il accuse Washington d'avoir encouragé. Chavez déverse alors sa rhétorique contre "le funeste empire" et son chef, baptisé, selon les jours, "âne", "ivrogne", "chevalier de la mort", ou "diable", comme en 2006 à la tribune des Nations unies.
Il défend Saddam Hussein, proclame son amitié avec l'Iran, puis avec Moscou. Le président russe, Dmitri Medvedev, viendra à Caracas en visite officielle le 26 novembre - une première pour le Venezuela. En septembre, Chavez expulse l'ambassadeur américain par solidarité avec la Bolivie alliée, qui a fait de même. Une décision qu'il commente à sa manière : "Yankees de merde, allez cent fois au diable !" Après le plan de sauvetage bancaire par l'Etat américain, il ironise sur le "camarade Bush" : "Il est maintenant plus à gauche que moi."
Et si l'avènement d'Obama n'était pas une aussi bonne nouvelle pour Chavez ? Bush, "ce taliban néoconservateur", était un épouvantail commode. Mais comment ouvrir le feu sur un président démocrate, noir, d'origine modeste et d'esprit ouvert, diplomatiquement vierge et disposé au dialogue, un homme symbolisant le renouveau de la démocratie américaine ? Comment décocher des flèches contre "l'empire", si l'on ne peut atteindre son nouveau chef ?
L'antiaméricanisme est un moteur essentiel de la révolution bolivarienne. S'il tourne à vide, faute de cible crédible, le régime perdra en partie sa raison d'être. Sa légitimité idéologique s'affaiblira à l'intérieur comme à l'extérieur. Chavez ne pourra plus s'en prendre aussi facilement à ses adversaires dans la région, régulièrement traités de "marionnettes de l'empire".
Chez lui, Chavez aura plus de mal à fustiger ceux qu'il appelle les "pitiyanquis". Selon le dictionnaire de la prestigieuse Académie royale de la langue espagnole, le "pitiyanqui" est un vocable masculin, péjoratif, d'origine vénézuélienne, construit à partir de l'adjectif "petit" et du nom "yankee". Dans la bouche de Chavez, "c'est une personne qui voudrait devenir "yanqui" mais n'en a pas la capacité", "un traître à la patrie qui admire les Etats-Unis", "un misérable", "un oligarque plein d'amertume", bref un antirévolutionnaire éhonté. Ou, plus simplement, tout opposant du président. "Il faut travailler, y compris le dimanche, conseillait récemment Chavez. On dit que Dieu se repose le dimanche mais lui était tranquille, il n'avait pas de pitiyanquis, car le diable était en enfer."
En attendant Obama, Chavez a encore quelques semaines pour tirer sur l'ambulance Bush. Comme la semaine dernière, au cours d'un meeting : "Ferme-la, Bush, tu n'as plus rien à dire ! Sors de l'Histoire par la porte de service !"
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